Interview #4 // Yak

En un moment d’hébétement le public est témoin du bordel sonique de Yak. Ce groupe aussi sauvage que la bête qu’il désigne comprend Oli Burslem et Andy Jones, amis d’enfance, formation initiale à laquelle s’est ajoutée une nouvelle recrue : Elliot Rawson arrivé de Nouvelle Zélande récemment. Leur chaos sonore singulier apaise et assomme pensées et sens. Le dialogue, la cohésion entre eux, leurs regards complices, les dévoilent comme un ensemble aimanté d’une force flagrante. Mais ce que Yak réussit le mieux à faire c’est ce lâché-prise unique, ce non-contrôle, cette imperfection de leur performance. Ils redonnent au live sa définition originelle : le surpassement de l’ordinaire, de la production carrée et contrôlée, l’unique, le rare, inscrit dans le moment et marquant les esprits. On en sort le corps et les sens vaincus, le coeur battant. À la fois terrifiant et électrique.

Nous avons eu l’occasion de converser avec eux avant leur passage au Festival les Inrocks Philips. Retour sur un groupe en pleine ascension.

Comment définiriez-vous Yak?

Oli : Apparemment c’est une énorme vache. [rires]

Andy : Je suis presque allergique à cette idée selon laquelle nous serions un groupe psych-punk, je ne pense pas que ça nous définisse bien.

Dans une autre interview vous définissez votre groupe comme étant “médiéval” et “modéré”, qu’est-ce que vous entendiez par là?

Oli : Médiéval pour notre approche et la manière dont on s’habille peut-être [rires], modéré parce que ce n’est pas extrême, on est vraiment au milieu… Pas vraiment bons. Certains diraient “Oh voilà trois personnes, c’est de la merde” d’autres “Oh, c’est génial”, on essaye juste de pas trop nous ridiculiser.

Dans une interview vous dites que la musique est la seule chose que vous aimiez faire.

Quand avez-vous réalisé ça?

Oli : Très tôt, j’étais mauvais en sport, pas très du genre académique donc il ne me restait que la musique. Il n’y a sûrement rien d’autre qui m’excite autant. C’est une constante.

Andy : Je pense que je suis la personne qui s’y connaît le moins possible en musique. Je ne connais aucun nouveau groupe, j’écoute toujours les mêmes vieux sons depuis des années.

Eliott : J’ai toujours eu une routine avec des soirées entières passées sur youtube à trouver des groupes aléatoirement et découvrir différents genres, à en apprendre plus sur l’histoire de la musique.

Je pense qu’on a tous une histoire avec la musique, quelle est la vôtre?

Oli : [imitant la voix d’un enfant] Je vais devenir chanteur, je vais être comme Elvis Presley. [rires] Dans notre village il y avait un pub, vert, comme dans tous les villages. Il y avait une église, un vicaire, abusant des enfants [rires], dans tous les villages on a besoin d’avoir ce genre de choses en place. Et on allait au pub assez jeunes. Il y avait des groupes de rock qui jouaient, souvent des papys qui faisaient du vieux blues et des hommes qui fumaient et buvaient après une longue et dure journée. Je me disais « j’aime ça, j’aimerais pouvoir jouer sur cette scène » et je rentrais chez moi pour me remettre à jouer et essayer de devenir meilleur.

Andy : Il n’y avait rien d’autre à faire, surtout pas un lundi soir…

Oli : C’est un super endroit Wolverhampton mais tellement ennuyant et au milieu de nulle part. Pendant que les autres ados développaient des testicules et différentes idées sur la vie, j’étais agité et je me disais « je veux quelque chose d’autre, quelque chose de plus ».

Andy : La même chose. Le même vicaire. [rires]

Oli : Né dans le même hôpital, la même année, le même père [rires]. C’est un petit village, disons ça comme ça. On a fréquenté une école religieuse. C’était pas particulièrement drôle… C’est peut-être en contre pied des barrières religieuses que la musique a pris une place importante. Genre je vais me lever du sol froid de cette salle de gym et je vais faire autre chose que rester assis comme un con.

Andy : Je détestais m’asseoir par terre. Je ne supportais pas ça.

Oli en 2008 déjà vous étiez dans un groupe, Yelps, que s’est-il passé?

[rires]

Andy : Comment tu sais ça??

Oli : C’était un groupe cool à ce moment là. De là d’où nous venions je ne pense pas que d’autres groupes soient parvenus à ce que nous avions fait, on a quand même sorti un album. C’était différent. Mais je suis assez fier, j’aimais faire de la musique, j’étais obsédé, possédé, c’était la seule chose que je voulais faire. Les chansons était à propos de rien du tout. Depuis ça plein de choses ce sont passées dans ma vie, de la merde sans rapport à la musique et ça m’a construit, je me suis mis à me voir faire autre chose. Mais je n’en ai pas honte du tout.

Andy : Très mauvais bassiste d’ailleurs.

Oli : Parce que j’ai fais ça je ne me sentais pas très légitime à un moment, je me disais « t’es pas vraiment bon, tu peux pas faire ça parce que t’as fais ci ». Du coup je n’ai plus fait de musique pendant quelques temps jusqu’à ce qu’un type dans un pub me demande ce que je voulais faire de ma vie. J’ai dis de la musique mais j’ai expliqué que je ne pensais pas que ça se ferait parce que ce que j’avais fais avant n’était pas très authentique et là il m’a dit de le faire pour moi. Et c’est ce qu’on a fait. On avait zéro ambition, on s’est juste mis à en faire et à s’activer.

Andy : On aime simplement ce qu’on fait.

Eliott : On m’a demandé de venir les rejoindre pour jammer, y avait pas de concert de prévu particulièrement.

Andy : Je n’avais jamais joué de la basse avant, je jouais de la guitare.

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Avez-vous eu à faire des sacrifices pour la musique? 

Oli : Je pense que dans toute bonne musique il y a des sacrifices. Je réfléchis à ce qu’ils sont. Déjà l’argent  [rires] … La santé, probablement. Je vis de porc et de pâtisseries. Et puis y a cette idée d’être inutile quotidiennement. Pour être honnête je ne trouve pas vraiment de points positifs.

Andy : Mais ça vaut le coup.

Eliott : Évidement. Sinon on ne serait pas là.

Oli : Je ne sais vraiment pas où nous en sommes, ce que nous faisons là, vraiment pas… Je me lève les matins et je réalise que je suis dans un groupe et que je joue, et je me demande « pourquoi tu fais ça? ». Tous ces sacrifices et ce n’est pas assez. Mais c’est assez. J’espère que nous sommes bons. L’Histoire le dira.

Vous êtes-vous déjà senti illégitimes, comme des imposteurs?

Andy : Tous les jours, surtout les lundis [rires].

Oli : Oui, je pense que n’importe qui de décent a des doutes.  C’est ce qui te rend meilleur et bon. Et ce qui te pousse à y arriver mais globalement nous n’avons pas honte de ce que nous faisons, on en est fiers. Nos enregistrements ne sont pas très fignolés mais ils sont une trace de notre moment, de notre temps. On continuera. Mais tout le monde manque un peu d’assurance au fond. Peut-être pas Andy… [rires] On pense qu’on est LE meilleur groupe… Du monde même. Des fois on le pense moins  mais on le sent toujours. Parce que si on ne le sentait pas alors je ferais mieux de retourner m’asseoir derrière un bureau ou faire autre chose pour ne pas m’embarrasser.

Tout va très vite en ce moment, vous êtes au festival les Inrocks, quelques semaines plus tôt c’était New York, vous vous êtes fait spottés par Jack White et son Third Man record

Oli : Je pense que nous avons eu de très bonnes opportunités et nous sommes vraiment reconnaissants. Nous avons joué dans des endroits sombres avant et d’autres plus lumineux [rires]. Nous avons commencé à remplir des salles payantes récemment. C’est-à-dire qu’il y avait des gens que l’on ne connaissait pas qui étaient tellement intéressés et excités qu’ils ont mis de l’argent pour nous voir, faisant de nous un vrai truc. Là, d’un coup on joue pour divertir les gens alors qu’avant c’était pour nous-mêmes. Les concerts ne sont pas vraiment une évasion je n’aime pas le mot, mais plutôt une libération. On a été du côté du public pendant longtemps. Maintenant qu’on a la possibilité d’être sur scène on n’y croit presque pas. Au festival Field Day, en regardant autour de moi j’ai vu une mer de gens, des gamins, c’était magnifique. Je me suis senti tellement privilégié. Nous ne sommes pas un groupe à succès. Soit les gens aimeront et achèterons nos albums et nous continuerons soit ils diront “on en a marre de cette merde” et ce sera vite fini. Peut-être que ça tiendra mais je sais que nous ne sommes pas du très bon fromage ou la meilleure baguette [rires].

Eliott : Je pense qu’on essaye de faire le maximum pour toujours faire au mieux. Il y a de nombreux groupes qui s’habituent et qui prennent tout ça pour acquis.

Vous aimeriez être un des gros noms en tête sur l’affiche d’un festival? 

Oli : Ce serait bien, je ne pense pas que nous sommes ce genre de groupe. Mais ce n’est pas à nous que ça revient d’en décider. Tout repose sur les pieds des gens qui achètent des tickets pour nous voir et qui se déplacent pensant qu’on est le vrai deal. Seul le temps le dira. Je ne sais même pas où j’en suis moi-même.

 

Ce qui vous démarque c’est votre approche du live…

Andy : Nous ne faisons jamais de setlists déjà. Nous aimons être libres le soir-même, on peut jouer ce qu’on veut.

Oli : On improvise mais on sait ce qu’on fait. Comme ce soir, je suis un peu nerveux, mais excité. L’ensemble pourrait aller mal du coup ça nous grise. Si les gens ne sont pas présents ce soir ils ne reverront jamais ce même live, ni demain, ni dans un mois.

Eliott : Sinon tout le monde s’ennuierait rapidement. On essaye de rendre ça le plus intéressant possible.

Oli : On pourrait aussi dire que c’est parce qu’on est très fainéants et qu’on ne veux pas répéter pour ne pas polir notre son ou nos prestations. Ou peut-être que c’est juste qu’on ne peux pas polir de la merde. [rires] Ça nous donne aussi une bonne excuse lorsqu’on se plante complètement. [rires] Disons que quand on est en première partie soit on sabote, soit on vole le public du groupe. Si on joue bien et qu’on sent que le public n’est pas dedans, on y va [se tord et émet des sons] « eeeeeeiiiirrrrr krrrrrrrr pirrrrrrr skwwiiiir » et ça les emmerde. Donc ils sont excédés, je suis énervé, mais content qu’ils soient irrités! Chaque groupe a une idéologie,  une idée de ce qu’ils font donc nous devons en avoir une aussi. 

Eliott : J’aime l’idée que si tu manque un de nos shows tu as vraiment manqué quelque chose que ce soit bien ou pas. Même si merder est un peu embarrassant.

Quel est votre meilleur moyen pour trouver l’inspiration?

Oli : Je pense que le plus inspirant sont les plus petits détails. Quand c’est de gros thèmes ça sonne faux. La musique c’est bizarre parfois parce que tu te retrouves avec des formules banales comme [chante] «I love you, where did you go, please» mais on aime Spiritualized et bien qu’ils utilisent le même langage ce qu’ils arrivent à faire est incroyable.

De quoi rêvez-vous la nuit?

Oli : De meurtres [rires].

Andy : J’ai souvent le même rêve qui revient depuis longtemps. C’est un tout petit cube qui petit à petit prend beaucoup d’ampleur et devient tellement énorme que je ne peux plus supporter. Incompréhensible…

Oli : J’avais des cauchemars tous les jours pendant trois ans.

À propos de quoi?

Oli : Des traumatismes. C’était d’horribles cauchemars.

Eliott : Avant des concerts je rêve que tout se passe mal. J’ai rêvé une fois que ma batterie était sur un sofa, j’avais oublié ma harvey et j’essayais d’équilibrer mes cymbales mais ça ne fonctionnait pas alors qu’on était devant une foule énorme… Oli me disait « qu’est ce qui ne va pas chez toi débile? ». C’était très bizarre.

Vous pouvez checker mes autres articles sur le groupe sur SNIX et Bad Vibrations. Leur nouvel EP est disponible ici et . Ne les ratez pas à la Mécanique Ondulatoire à Paris le 22 Février, croyez nous ça vaut le détour pour ce prix dérisoire ! Check l’évent ici !

Chayma Mehenna

Crédit photo : Lucie Zozorpian @Moth Club

Chayma Mehenna

Culture enthousiaste et passionnée d'arts et de musique particulièrement de garage et psych rock.

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